Solve et coagula

2023-2024

Solve et coagula est l’un des principes fondamentaux de l’alchimie : dissoudre et coaguler sont les deux étapes dont les cycles successifs assurent la transmutation par la purification de la matière réduite à son essence.

L’hétérogénéité des champs que je couvre dans mon travail photographique m’a amené en 2012 à une expérimentation d’appauvrissement technique de l’image dans le but de formaliser un ensemble graphique homogène. Ce procédé consiste à tirer sur du papier polaroïd SX70 des photos prises avec tous types d’appareils (numériques et argentiques de tous formats) par le biais d’un smartphone combiné à une tireuse analogique. Le passage sur ce support se traduit par une réduction de la qualité picturale qui entraine paradoxalement un processus d’épuration de l’image. Le format réduit du polaroïd ainsi que son caractère aléatoire induisent une sorte de « passage à la moulinette » qui produit des photos très différentes des photographies d’origine. Cependant, l’objet polaroïd ne constitue qu’un stade intermédiaire dans la succession de procédés de reproductibilité technique.
L’ultime étape, entamée en novembre 2023, consiste à détruire, déconstruire les polaroïds afin de n’en récupérer que l’émulsion, fine pellicule inconsistante, âme de la photographie réduite à sa dimension la plus essentielle, pour la déposer sur un support en papier épais.

Cette dernière opération vient briser le cycle d’étapes analogiques et numériques qui toutes produisent des objets identiques : l’objet final sera unique et non reproductible dans la façon dont l’émulsion coagulera avec son support.

L’acte photographique lui même, consiste à dissoudre le réel pour le coaguler dans l’image.
Dans le corpus photographique que j’ai constitué dans le domaine professionnel, les recherches personnelles ou la photographie intime, certaines images semblent appartenir à un univers spécifique, à la croisée du souvenir, de l’imaginaire et du rêve. Elles élaborent leur propre narration poétique, résultat d’un solve de ma subjectivité et d’un coagula d’une image qui dit plus que le simple moment vécu.

De même, la mémoire procède par dissolution et coagulation : les souvenirs gomment certains détails, en exacerbent d’autres, désaturent les couleurs, recomposent les moments.

L’ambition de cette série est d’être pour celui qui s’y plonge une source d’évocation suffisamment sensible, mystérieuse et universelle pour s’en nourrir, la dissoudre en son for intérieur et la coaguler avec ses propres souvenirs.

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