Salade d’orchidée / Buenos Aires
23 février 2005, Derniers jours à Buenos Aires…
« La vieille dame édentée vendait des bonbons sur le trottoir, Place San Martin. Le contraste était violent avec l’architecture franco-espagnole, les pelouses bien entretenues, l’atmosphère de 16e parisien qui se dégageait de l’ensemble, très loin de l’idée qu’on se fait d’une capitale sud-américaine.
La première idée fut qu’il y avait là un portrait de première à prendre. La seconde idée, quasi simultanée, fut que la seule action décente envisageable était de discuter simplement avec elle.
J’entamais en espagnol, elle me répondit en anglais. Toujours en espagnol, je lui dit que je n’étais pas Nord Américain. Elle me rétorqua en allemand, je lui répondit toujours en espagnol que je n’étais pas Allemand non plus. Un peu agacée, elle me demanda d’où j’étais. De France. Sa réaction fut surprenante : elle commença à me raconter sa vie dans un français presque sans accent, à quel point elle avait aimé la France et les Français, quand elle était venue à la fin des années 40, quand elle était jeune, belle et riche, et comment elle avait regretté de devoir quitter ce pays si cultivé, tellement civilisé. Puis, elle m’expliqua ce qu’était devenu sa vie, et comment elle se retrouvait à 88 ans obligée de vendre des chewing gum sur le trottoir pour ne pas crever de faim.
Au bout d’un moment, elle me regarda bizarrement et me dit qu’elle avait un cadeau pour moi. Un titre. “Salade d’orchidée”. Parce que c’était aussi ça, ce pays: tellement de belles choses, de richesses, de domaines du possible et tant de gens qui ne faisaient que bouffer ces belles choses, les rendre stériles et abîmées, transformer cet or en boue.
Moi, je n’avais rencontré que des gens luttant pour que subsiste un peu d’humanité et de dignité.
Je n’ai pas photographié la Señora Maria Leòn. »