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La route a été longue pour aller jusqu’à Rome.

Et quand j’y suis arrivé, je ne me doutais pas à quel point ces trois mois de résidence joueraient un rôle crucial dans ma vie.

De ces moments de convergence, où les éléments disparates et chaotiques qui constituent une vie, un regard, un cheminement, semblent trouver enfin leur cohérence, leur perspective. Une logique apparait alors et donne un sens. Les situations les plus improbables se présentent et suscitent une fluidité générale, joyeuse et généreuse. Chaque nouvel événement, chaque nouvelle expérience fait apparaitre au grand jour les raisons enfouies, inexprimables, qui avaient guidé sans se révéler cette intention première, vague et néanmoins précise : photographier des statues.

Pourquoi ?
Lesquelles ?
Comment ?

Etrangement, la question ne s’est réellement posée que lorsque les premières photos sont sorties. Que signifiaient ces photos, au regard de ce que j’avais pu ressentir face aux œuvres concrètes, à la matière ? Et disaient-elles quelque chose d’autre, quelque chose qui n’était pas présent mais que j’avais peut-être apporté avec moi, qui serait comme une certaine façon de retranscrire une certaine façon de percevoir.

Pourquoi vouloir PHOTOGRAPHIER des statues ? Elles sont faites pour être vues, touchées si l’on peut, pour que l’on tourne autour, saisisse le rapport des formes, la dynamique des volumes, sente à la fois que cette matière inerte est si étrangement palpitante et sensuellement proche de la vie que l’on a besoin de se rappeler qu’il s’agit bien d’un bloc de marbre ou de bronze.
En leur présence, on pénètre leur sphère, dans laquelle semble avoir été cristallisé un instant d’un autre temps et d’un autre lieu. Comme une brèche à l’intérieur de laquelle ce monde ancien et imaginaire aurait subsisté. Que verrait-on par les yeux de ces statues ? Des musées, des places ? L’atelier dans lequel elles ont émergé du bloc de marbre ? Ou bien les rives du lac Pergus, les ruines de Troie et les armées pétrifiées de Phinée ?

Il est troublant d’assister à ces fractions du temps éternellement figées, d’une portée telle, d’un sens si profond, que le sculpteur les a précisément choisies et a sorti de la matière la vision qu’il en a eue.
Pourquoi cet instant là, et pas celui d’avant ? Et d’ailleurs, la permanence de cet instant, des gestes arrêtés ne rend-elle pas impossible de se représenter l’instant d’avant ou celui d’après ? L’existence tellement réelle, physique de la scène s’impose comme se suffisant à elle même, parfaite, dans une intensité paroxystique qui n’a pas besoin d’assouvissement.

Le climax est permanent, l’issue une impossibilité.

Ce qui se passe avant ou après, c’est l’image manquante, ce qui n’est jamais arrivé.

Nous voila face à une cristallisation, un « ici et maintenant » immuable.
Or, la photographie elle-même est une cristallisation de l’instant, comme une sorte de mise en abime ou de redondance. Figer un instant figé, est-ce un pléonasme ? Ou cela prend-il un sens dès lors qu’il y a morcellement, interprétation, adoption d’un point de vue subjectif qui modifie l’essence de ce qui est photographié ?

Face à ces statues qui sont comme un écho de ma propre vie, des émotions, de la violence, de la sensualité qui se mêlent intimement, je cherche à m’en emparer, choisissant ce que j’en montre et ce que j’en dissimule, afin d’en faire mes propres objets.

Mon regard photographique est une interface entre le sujet et celui qui regarde la photo du sujet. Je donne à croire que je montre, mais en réalité, j’interprète et donne à voir quelque chose de bien plus intime et impudique que des sculptures, aussi érotiques soient-elles.

Il y a parfois des conjonctions dans une vie qui font entrer en résonance l’intime et l’extime. Le processus de création se retrouve nourri de façon inattendue : une rencontre amoureuse, sensuelle, dansante, charnelle, vient donner au regard porté sur les corps sculptés une acuité différente, une profondeur silencieuse. L’étreinte des corps, la gestuelle dansante, l’érotisme intrinsèque des scènes, la sensualité des personnages m’enveloppent, deviennent en partie le sujet de mon travail, inextricablement lié à ma vie.

Face aux statues, aux contacts, aux enchevêtrements de corps, aux tensions et relâchements, à ces ambiguïtés entre la violence et la volupté, je photographie mes propres étreintes.

Elles portent en elles l’ambiguïté de l’amour et de la haine. Selon la façon dont on regarde ces statues, elles incarnent le désir, la lascivité, l’extase, la contrainte, l’insoumission, la violence… Le spectateur est submergé par des vagues de sentiments contradictoires, qui l’obligent à prendre position, mais des positions changeantes au gré du regard. Empathie lorsque les corps s’embrassent, se touchent sensuellement. Rejet lorsqu’il perçoit que ce qui semble une étreinte amoureuse s’avère être en réalité la représentation d’un viol, troublante parce qu’esthétique.

Le temps de la résidence est la vie, les photographies en sont l’écume. Ce qui reste de l’irruption des idées, des concepts, des sensations, des fantasmes, de ce qui me trouble et détermine mon regard.
Les mots viennent, qui nomment la matérialisation esthétique d’un processus, d’un « ici et maintenant », d’une perception instinctive.

Le vacarme et le silence.

Les termes s’imposent d’eux-même lorsque les photographies révèlent le regard que je porte, m’échappent et commencent leur propre vie.

Marc Mounier-Kuhn

15 mars 2017.

 

Dossier de présentation du volet Espace public