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Lieux communs #1

La Cité est un tissu, un territoire balisé, normé, que l’on peut arpenter et décrypter de bien des manières différentes. De nombreuses grilles de lectures se superposent, des plus évidentes et objectives (noms de rues, réseaux de transports urbains…) aux plus intimes et subjectives. La multiplicité de ces perceptions nécessite un accord tacite au sein du corps social afin que se dessine une base de compréhension et d’interaction entre les individus partageant ce territoire : En premier lieu, c’est la dimension la plus objective, la plus normative qui constitue le point de rencontre, le statut quo.

Cependant, le besoin d’appropriation du territoire nous conduit fréquemment à introduire des repères relevant d’une subjectivité tenant du lieu commun collectif. Le corps social s’empare de ces repères et les ré-interprète : ce phénomène procède du besoin d’humaniser la Cité, d’en faire un terrain familier, avec lequel nous pouvons dialoguer.

Ce processus constitue les bases de la psycho-géographie : la représentation de la Cité au travers de ses effets sur le comportement et l’affect. Sur sa perception. Sur la façon dont nous nous en emparons.
Or, pour un grand nombre de nos concitoyens, la rue n’est à personne. Le terme même d’espace public contredit cette acception : s’il est public, il est à tout le monde. Personne, tout le monde… Finalement, contrairement à la logique, la Doxa semble se fixer sur une sorte de non-lieu, un non espace, un renoncement à la possibilité d’une prise de possession collective, un abandon de ce qui constituait auparavant l’Agora.

Pas d’Agora, pas de discussion, pas de démocratie.
L’espace public devient donc en définitive un théâtre d’opération sur lequel de nombreuses doctrines s’affrontent visuellement : image mercantile/gratuite, autorisée/clandestine, tolérée/ méprisée, politique/dénuée de sens, qui embellit/qui dégrade, qui procède d’une démarche/ qui ne procède de rien…
Encore une fois, la question de la ré-appropriation de l’espace public se pose : est-il nécessaire d’y intervenir artistiquement, esthétiquement, pour que celui-ci se mette à exister ?

Par ailleurs, la façon dont l’artiste prend pied dans cet espace constitue également un angle de réflexion intéressant. Que choisit-on de montrer, dans quelles conditions, et dans quels buts ? La responsabilité de l’artiste, devant conjuguer à la fois la prise de position sans concession et le respect dû à l’ensemble des citoyens confrontés à l’oeuvre esthétique livrée à la vu de tous, nécessite de trouver et maintenir un équilibre afin de provoquer la réaction sans générer de clivage excessif.

C’est donc sous ces angles de réflexion que je travaille à l’installation par le collage monumental de présences poétiques, fantomatiques, incongrues, accidentelles, afin de créer pour chaque regardeur une mise en lien entre lui-même et l’image sur le mur, considérant que le questionnement produit permet à la fois de s’approprier l’espace de la Cité, mais surtout d’entamer le processus visant à se positionner au sein de la société et de faire corps avec celle-ci.

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